DISCOURS DE CLOTURE PRONONCE PAR MONSIEUR FRANCOIS MITTERRAND PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE LORS DE LA CONFERENCE SUR LA SECURITE ET LA COOPERATION EN EUROPE A PARIS
Centre de conférences Kléber – mercredi 21 novembre 1990
En signant la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, nous venons de mettre fin aux travaux de ce sommet. Parce que c’est au Président de la République française en qualité de Chef de l’Etat du pays hôte, qu’échoit le privilège de prononcer le discours de clôture, je vous livrerai quelques-unes des conclusions que je tire des propos entendus au cours de ces trois jours.
Premièrement, nos 34 Etats partagent désormais une vision du monde et un patrimoine de valeurs communs.
Parler de communauté de valeurs par l’adhésion de tous à la démocratie et aux Droits de l’Homme n’est plus un vain mot. Les mots ont désormais le même sens partout. La première étape est franchie. Reste la seconde : mettre en harmonie les mots et les faits. Car la liberté, le droit, sont moins affaire de définition que d’application.
Sur les grands enjeux mondiaux, nos convergences sont si nouvelles qu’elles nous étonnent presque.
En vérité, notre rapprochement ne doit pas être cimenté par la peur des incertitudes mais par la volonté de les réduire. L’Europe n’a pas accompli l’essentiel du chemin pour trébucher sur des obstacles secondaires. L’un d’entre vous a évoqué une deuxième génération d’accords d’Helsinki. La prévention des conflits, le règlement pacifique des différends, tous les mécanismes juridiques et politiques qui empêcheront qu’une étincelle ne mette le feu aux poudres entrent, me semble‑t‑il, dans ce cadre.
Deuxièmement, le bilan que nous dressons de la situation appelle des réponses nouvelles.
Avec l’ordre ancien se sont effondrées les fausses certitudes qui le soutenaient. L’Europe a payé cher pour savoir qu’on ne joue pas impunément avec les frontières. Mais trop de communautés ont subi les frontières comme tranche un couperet. Vous avez évoqué la situation des minorités nationales. Tous, ici, nous pressentons ce qu’il faudra de patience de la part des sociétés en question de sagesse de la part des gouvernants, pour trouver, par le dialogue et la négociation, les équilibres satisfaisants.
On ne répondra pas aux impatiences par les seuls calculs de la diplomatie. Seule la solidarité, le refus d’un nouveau partage entre nantis et laissés pour compte, évitera que les identités ne glissent vers l’irrédentisme. Economie, écologie, harmonisation des niveaux de vie, voilà où l’on attend nos décisions. Voilà les résultats sur lesquels nous jugerons des populations qui ne se satisferont pas de maximes consolantes.
Tout est à repenser. Aucune institution n’échappera à ce réexamen critique : la communauté européenne, l’Alliance atlantique, le Conseil de l’Europe, et maintenant la C.S.C.E, chacun prendra sa part.
Voyez‑vous, c’est le troisième point de cet exposé, nous poursuivons un même dessein tout en l’habillant, trop souvent, de mots différents.
La C.S.C.E. rénovée, qui sort de nos travaux, apporte une réponse. Elle n’a pas vocation à tout embrasser. Si déjà elle fait ce qu’on attend d’elle en renforçant la sécurité et la stabilité, en consolidant la démocratie et les droits de l’Homme en Europe, elle aura justifié les espoirs qu’elle fait naître.
J’ai entendu revenir dans vos propos des expressions connues ou inédites, qui témoignent de notre ardeur à bâtir sur des principes nouveaux : maison commune européenne, nouvel ordre de paix, grande alliance pour la démocratie, confédération. Les points communs entre ces projets sont nombreux. Ils postulent tous une Europe dynamique, qui rassemble ses forces pour mieux s’affirmer et où chacun se sente chez soi ; une Europe pacifiée qui rejette dans l’oubli l’Europe mutilée, disputée que nous avons connue. Je pense en cet instant à celles et ceux d’entre nous qui ont vécu les drames, j’en suis, du dernier demi siècle ; une Europe attachée à l’autre rive de l’Atlantique par une relation vivante. Pour reprendre et compléter une belle image, s’il est vrai qu’un coup de feu tiré sur son sol retentit au fond des forêts canadiennes, il est vrai aussi que toute vague née d’un bord ou de l’autre des océans déferle sur notre continent ; une Europe ouverte sur le monde, conformément à son génie et parce que, vous l’avez tous relevé, son destin se joue aussi sur d’autres théâtres. On le sait bien, particulièrement aujourd’hui.
De ce programme, vous avez, à Paris, commencé de brosser, de dessiner les lignes de force. Vous avez, nous avons, fixé des règles du jeu, agréées par tous sans réserve. Songeons, maintenant, à des projets mobilisateurs pour remettre en marche des énergies trop longtemps en sommeil.
Permettez‑moi de vous dire que les contenus de nos travaux autorisent un espoir. Les stéréotypes de naguère ont laissé place à une approche mesurée, responsable et, le plus souvent, amicale. Exténuée par les guerres qu’elle s’est livré à elle‑même, l’Europe repart d’un bon pied, avec ambition et avec réalisme.
D’ici le tournant du millénaire, nous avons devant nous dix ans pour gagner la course de vitesse que les Européens engagent contre l’Histoire, contre l’Histoire ou avec elle.
Nos structures, celles de la C.S.C.E, que nous venons de décider vont maintenant se mettre en place. Les Ministres des Affaires étrangères, se réuniront au lieu que vous avez choisi et prendront le relais.
En vous remerciant de votre coopération, de votre présence, de votre travail de vos échanges au cours de ces trois journées, je vous donne rendez‑vous à Helsinki au printemps de 1992.
Vous trouverez ci-dessous l’enregistrement du discours :