Discours de Jean-Yves Gouttebel, Président du conseil départemental du Puy-de-Dôme.
Cérémonie d’obsèques de Michel Charasse – 26 février 2020.
Mairie de Puy-Guillaume
Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs chers amis de Michel Charasse, Chère Danièle,
Mon cher Michel,
Vendredi à la première heure le téléphone sonne à la maison. Danièle nous apprend que tu as franchi le seuil dans le silence de la nuit et dans la discrétion.
Mon cher Michel, notre cher Michel à tous, je voudrais te parler au nom de tous tes amis puydomois réunis ici ou présents par la pensée.
Des seuils, tu en as franchis ! Celui de cette mairie en 1977, celui du Palais Bourbon avec les « trois mousquetaires » jusqu’à Gaston Defferre, celui de l’Elysée avec François Mitterrand, celui du Sénat, celui du Conseil général en 1988, tu y seras pour moi le plus fidèle des soutiens, celui du Louvre et de Bercy, celui de la rue de Montpensier enfin. Mais de ce long et prestigieux parcours, c’est cette longue marche aux côtés de François Mitterrand qui aura tant marqué ta carrière politique. Ta présence à Paris durant toutes ces années ne t’a jamais éloigné de ta commune et de ton département que tu chérissais. Tu as toujours été dans la proximité, cette proximité dont les gens ont besoin. Tu nous aimais pour ce que nous étions et nous t’aimions pour tout ce que tu étais pour chacun d’entre nous. Nous t’aimions pour ton humour et ta truculence, pour la convivialité que tu savais allumer et entretenir, pour ton sens de l’amitié, pour ta fidélité et pour cette valeur essentielle de notre République que tu savais rendre vivante : la fraternité.
L’humour et la truculence au point que souvent je me suis demandé qui des deux Michel avait initié l’autre : Colucci ou Charasse.
La convivialité, l’amitié sans faute, cultivée ici et ailleurs, à Paris comme sur les bords du lac Chauvet, ce Chauvet qui était pour toi lieu culte depuis que François Mitterrand l’avait sacralisé, lieu de respiration et d’inspiration. Et, comme beaucoup ici, j’entends encore ta voix : « samedi, dimanche, tu te débrouilles pour venir au Chauvet ! J’ai des choses à te dire»
Fidélité à nous tous et à nos territoires. Mais aussi et surtout cette attention inégalée et cet amour pour Danièle, avec pudeur et discrétion mais si profond.
Fidélité quasi inconditionnelle à François Mitterrand que tu viens de rejoindre pour un autre acte de la pièce.
Fidélité à ton idéal républicain, amour de la justice, et pour les autres et en premier lieu les plus seuls, les plus modestes, ceux que le malheur frappe à tous les moments de la vie. Et tout ça sans que tu aies eu besoin d’une carte pour le prouver ou d’une étiquette pour le proclamer. En t’en passant tu as été encore une fois un visionnaire.
Pour toi, les actes valaient mieux que les proclamations. Et chacun sait ici combien tu as su être un « facilitateur » de vies pour beaucoup et d’abord pour les plus faibles, les plus démunis. Ta réactivité relevait de la vitesse de l’éclair. Michel, tu étais la fraternité incarnée et ton refus de l’injustice était sans concession.
Sans concession pour tes convictions républicaines tu l’as été tout au long du chemin. Je me souviens, un jour dans cette salle des fêtes, alors que tu recevais une distinction, je crois que c’était la médaille d’honneur départementale et communale, dans mes propos t’avoir dit qu’achevant de lire la biographie de Clemenceau tout juste publiée par Michel Winock, à chaque page ton visage apparaissait en filigrane derrière celui du Tigre et qu’à la fin du livre vous ne faisiez plus qu’un.
Le visage de Michel, avec ce regard perçant, vif, malicieux qui dépassait par-dessus les lunettes au bout de ton nez. Ces yeux qui dévoilaient cette curiosité de tout -sauf du sport- et cet appétit de vivre. En fait, ces derniers jours, j’arrivais dans ta chambre à l’hôpital préoccupé, triste, sans le montrer bien sûr, mais quand j’en sortais ton courage m’avait gagné et je me sentais plus fort. Quelle leçon de vie tu me donnais !
Et pour cette remise de décoration à l’Elysée où tu désirais tant retrouver ces lieux qui furent ton bureau, ta maison et parfois ta cour de récréation pendant tant d’années, tu m’as confié la très importante mission de t’acheter six rosettes de Légion d’Honneur pour les mettre sur chacun de tes costumes. Tu avais encore tant de choses à faire.
Pourtant, il y a quelques semaines tu as eu une parole que m’a rapportée Danièle « Qu’ai-je fait de mal au Bon Dieu ? ». C’ est la première fois que je ressentais ton renoncement et je me suis dit, là ça ne va plus… et tu me l’as répétée lorsque je t’ai apporté mon dernier livre que je t’avais dédicacé. Je t’ai dit que tu avais souvent taquiné Dieu et peut être surtout ses représentants…
Ta relation avec Dieu, parlons-en. T’imaginer Michel en
« pourfendeur de curés» ou gardien de Baltique durant les obsèques de son maître, serait très réducteur. Là encore, le Grand Homme pouvait avoir plusieurs facettes. Ardent défenseur de la laïcité, dans tes fonctions élyséennes, tu avais été en effet, en charge des Cultes. Un de tes fidèles amis était Hyppolite Simon, ancien archevêque de Clermont. Et je ne parle pas de ta complicité nouée avec le Curé de Puy-Guillaume, le Père Alexandre, de l’attention que tu portais à l’entretien de l’église sur ta commune et des nombreuses inaugurations d’édifices religieux que tu avais présidées. En fait, c’était « jamais dans une église» quand une cérémonie y était célébrée. Si Dieu existe il n’oubliera pas que tu t’es d’abord occupé des plus petits d’entre nous.
Tu nous as fait rire, tu nous as passé des charges, même en jouant aux cartes interminablement chez nos amis Chambon. Nous avons passé de formidables moments avec toi : Jean, Jean-Paul qui a été le dernier à te voir jeudi, l’autre Jean, le cardiologue, Alain, Michel, Dédé et son ravitaillement en produits du terroir, Éric à qui tu as mis le pied à l’étrier, Cathy et Jacques, Jacques, notre humoriste, Michel, architecte et surtout sommelier, Gilles-Jean, les Dominique et j’en connais une avec laquelle tu avais des passes d’armes redoutables mais tu la rappelais toujours. Il y avait entre vous, plus que de la complicité, une profonde affection. Et je ne peux clore la liste sans citer le respect et la reconnaissance que tu vouais aux médecins et aux équipes médicales qui t’ont accompagné dans ces derniers moments si difficiles où la maladie t’avait confisqué les principaux plaisirs de ta vie : recevoir des amis, parler, fumer, boire bon, manger …
La convivialité n’excluait jamais le sérieux, tu étais un ingénieur du droit. Sans doute pas janséniste, tu avais concilié ce que Pascal appelait l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse. Comme Alain tu pensais que« rien n’est pire qu’une idée quand on n’en a qu’une». Tu fourmillais d’idées. Toujours sur le registre pascalien, tu avais réussi à concilier le cœur et la raison. Et tu as vécu à l’image de cette phrase de Camus : « vivre c’est ne pas se résigner ». La résignation n’a jamais été dans ta culture. Tu resteras pour nous un modèle de vie.
Alors, cette après-midi au moment où pleure la République, où les larmes glissent sur le visage de Marianne, je voudrais une nouvelle fois te dire que nous t’aimons.
Certains savent ce qu’ils te doivent, mais beaucoup ne le savent pas, tant tu as œuvré discrètement mais avec ténacité pour l’intérêt général et pour notre territoire.
Nous serions tentés de te dire « adieu », « à dieu », tu le prendrais pour une provocation.
Nous pourrions te dire « au revoir », tu nous dirais « quelle banalité ! »
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Alors nous te disons« restons ensemble» car tu as encore beaucoup à nous dire et à nous rappeler.
Dans ton dernier message, mercredi, tu m’as dit comme souvent
« tiens bon ».
Alors Michel, tu resteras avec nous et sinon n’hésite pas à nous rappeler à l’ordre quand tu le jugeras nécessaire et à nous remonter les bretelles.
Merci Michel !