Pendant sa riche et longue vie qui prit fin en novembre 2001, Pierre Guillain de Bénouville , compagnon de la Libération, a collectionné les amitiés, les épopées, les aventures dans tous les sens de ce terme, les passions et les souffrances de la guerre et de la politique. Qu’il s’agisse du ” Général ” , de François Mitterrand, d’Henry Frenay qu’il a secondé à la tête du mouvement Combat, cet homme montre un étonnant talent à aimer et à admirer.
Adolescent, il adhéra à l’Action Française de Maurras et de Léon Daudet, contre ceux qui abandonnaient à la “Bochie”, assoiffée de revanche, la rive gauche du Rhin, défaitisme gros de tant de malheurs futurs. Il se rua sur la place de la Concorde, le 6 février 1934, et se convainquit que si, ce jour là, le Palais Bourbon n’avait pas été pris d’assaut, c’est parce que les chefs de l’insurrection ne l’avaient pas voulu. Il se fit cagoulard au nom d’une réaction instinctive contre ces parlementaires repus qui nous livraient pieds et poings liés aux fureurs hitlériennes. Et si, dans cette société secrète, d’autres que lui choisirent ensuite de trahir, c’était une affaire de cœur et non de ligne politique. En 1940, il s’évada et dirigea un petit hebdomadaire pétainiste, L’Alerte, avant de passer dès 1941 en conseil de guerre pour gaullisme. Devenu l’adjoint d’Henry Frenay au sein du mouvement Combat, féru d’action militaire plus que de propagande il organisa en Suisse une liaison avec les services secrets américains qui fournissaient armes et argent, et cela contre l’avis de Londres et de Jean Moulin. Il ne cache pas dans le livre les réserves que continuait de lui inspirer jusqu’à la fin de sa vie l’unification des mouvements de la résistance intérieure que l’ancien préfet avait tentée en 1942 avant son arrestation. Comme il défend devant son interlocutrice l’innocence de René Hardy, avec une fougue qui l’entraîne parfois à quelques approximations.Il faudrait parler du candidat du RPF en Bretagne contre un notable MRP, qui manque de cogner un curé qui susurre en chaire qu’il vit à l’hôtel avec des écuyères, du baron gaulliste, de cœur, là aussi, avec l’Algérie française, cachant Georges Bidault au nez et à la barbe de la police du général ou plaidant avec succès la grâce du général Jouhaud, de l’industriel et de l’homme d’influence vendant les avions du groupe Dassault en Israël et rendant à ce pays d’appréciables services, avant que l’embargo n’y mette fin en 1967.
À travers ces entretiens, l’homme apparaît fait tout d’une pièce et ne dit que ce qu’il veut bien dire. Et lorsque la question le gêne, il revient à la religion de son enfance. En même temps, on y retrouve beaucoup de choses qui nous mènent à François Mitterrand qu’il connut au collège Saint Paul d’Angoulême ; la méfiance instinctive de cette résistance intérieure à l’égard de ceux de la France Libre installés à Londres; le souci de s’échapper des lignes de partage politiques ( le portrait assassin qu’il fait du “déserteur Thorez” côtoie les récits de complicités actives avec d’autres communistes comme Marcel Degliame), une vision réconciliatrice des courants multiples de l’histoire de France.
Ce personnage apparaît là entier, subtil jusque dans ses esquives, ce qui rend ce livre d’entretiens passionnant.