En cette journée d’hommages à Michel Rocard, ancien Premier ministre de François Mitterrand et ancien premier secrétaire du Parti socialiste. L’IFM revient sur les relations entre François Mitterrand et Michel Rocard.
Parce qu’ils ont incarné deux lignes politiques très différentes – pour ou contre l’union de la gauche –, les relations entre François Mitterrand et Michel Rocard ont toujours été présentées sous la forme d’un antagonisme personnel. Or, c’est cette stratégie d’union voulue par François Mitterrand, qui a réussi et a permis la victoire de la gauche et l’alternance de 1981. Paradoxalement, c’est aussi la réussite de cette stratégie qui aura permis à Michel Rocard de devenir ministre puis Premier ministre et de mettre en œuvre sa politique, montrant par la même occasion tous ses talents.
L’antagonisme entre eux a été particulièrement visible lorsqu’ils étaient en compétition directe.
Il n’en reste pas moins que François Mitterrand et Michel Rocard ont pu travailler pleinement et utilement ensemble pendant 3 ans de 1988 à 1991.
Nous vous proposons de lire ou relire l’article de Pierre-Emmanuel Guigo, lauréat du Prix de l’Institut François Mitterrand en 2012 sur la communication de Michel Rocard ainsi que des extraits d’interview dans lesquelles François Mitterrand, Président de la République, répond aux journalistes qui l’interroge sur Michel Rocard :
– Le lundi 25 octobre 1993, dans la Bibliothèque de l’Elysée lors de l’émission L’heure de vérité diffusé sur France 2, en fin d’émission François Mitterrand répond à Alain Duhamel qui lui demande de réagir à l’élection de Michel Rocard comme premier secrétaire du Parti Socialiste.
QUESTION – Maintenant, on parle d’un sujet moins terrifiant qui est la Gauche. Michel Rocard qui a longtemps été au sein du Parti Socialiste votre challenger, quelquefois votre opposant…
LE PRESIDENT – Oui et il a le droit..
… a été élu Premier Secrétaire du Parti socialiste avec une très confortable majorité. Comment est-ce que vous réagissez à cela ?
LE PRESIDENT – Je réagis bien. Vous savez, Michel Rocard est mon quatrième successeur. Moi, j’ai quitté le Premier Secrétariat du Parti Socialiste il y a maintenant treize ans…
En 1981, oui…
LE PRESIDENT – Donc, je ne peux pas prétendre régenter le Parti socialiste, et d’ailleurs je ne le cherche pas, à la place de ceux qui en ont la charge.
Vous vous êtes réjoui, vous avez été étonné, agacé, soulagé ?
LE PRESIDENT – Pas d’agacement du tout. Michel Rocard est élu Premier secrétaire du Parti socialiste…
Avec un beau score.
LE PRESIDENT – Oui, mais enfin avec une nouvelle méthode qui est d’ailleurs excellente. Moi, j’avais été élu avec 100 % mais je ne considère pas que c’est un avantage sur lui parce que moi, c’était un Comité directeur qui m’élisait et lui, c’était à bulletins secrets. C’est une très belle expérience d’ailleurs…
Comment ressentez-vous cela ?
LE PRESIDENT – Le Parti Socialiste l’a décidé. Il a un dirigeant de valeur qui s’est affirmé depuis très longtemps dans les combats politiques. Le bon sens, la discipline et la bonne foi doivent conduire à l’aider du mieux qu’on peut. Je suis Président de la République et je ne veux pas simplement tenir le raisonnement d’un militant politique. Tous les Français connaissent mon opinion, je suis Socialiste et je n’ai pas l’intention de changer d’opinion mais je m’intéresse à la vie de ce parti puisque j’ai contribué à le construire.
Tout le monde comprendra parmi ceux qui m’écoutent que j’aime bien ceux avec lesquels j’ai longtemps combattu mais ce n’est pas mon rôle maintenant de me substituer à ces organes dirigeants.
Vous avez beaucoup connu Michel Rocard, vous l’avez eu notamment pendant trois ans comme Premier Ministre à vos côtés, donc vous avez vraiment eu l’occasion de le voir très souvent. Pensez-vous qu’il a bien les qualités qui sont celles d’un Premier Secrétaire ? C’est un rôle un peu particulier.
LE PRESIDENT – Oui, je le crois, absolument. Je crois qu’il a beaucoup milité, je crois qu’il a beaucoup réfléchi. Je lis la presse et le suis toujours étonné de cette espèce d’antagonisme que l’on a développé, pas partout d’ailleurs.
Certains même parlent carrément d’inimitié, voire d’hostilité.
LE PRESIDENT – Je n’ai pas d’hostilité à l’égard de Michel Rocard. Je n’ai d’hostilité qu’à l’égard de très peu de gens d’ailleurs, je ne suis pas fait comme cela. Simplement, je m’intéresse à la vie politique et aux choix fondamentaux et tant que j’ai pu penser que Michel Rocard – je l’ai pensé en certaines circonstances – ferait une politique qui me paraissait pas simplement différente mais peut-être antinomique de celle que l’ai menée moi-même au nom du socialisme français, je ne souhaitais pas…
Maintenant, vous êtes rassuré ?
LE PRESIDENT – Je suis rassuré. J’ai lu les textes qui ont été adoptés, j’ai lu les choix qui ont été faits et je considère qu’il n’y a pas du tout de rupture de ton ni de politique, entre 1971 et 1993. C’est un changement d’hommes, de tempérament, mais cela, c’est très bien, il faut changer vous savez…
– Le Mercredi 15 mai 1991 lors d’une allocution officielle, le Président François Mitterrand annonce depuis l’Elysée la démission de Michel Rocard et la nomination de d’Edith Cresson au poste de Premier Ministre.
Mes chers compatriotes,
Vous savez que ce matin Monsieur Michel ROCARD m’a remis sa démission. Cet après-midi, j’ai nommé Madame Edith CRESSON Premier Ministre. Elle me proposera demain jeudi la liste des ministres. Ils se mettront aussitôt au travail. Mais sur ces événements je souhaite vous dire dès ce soir quelques mots.
Michel ROCARD, a pendant trois ans, à la tête du Gouvernement pris une part déterminante à la conduite de la politique française. Il y a consacré de grandes qualités, réalisé de vraies réformes et obtenu d’utiles résultats. L’Histoire associera son nom aux progrès de la France pendant cette période. Je le remercie de l’oeuvre accomplie comme je remercie les membres de son gouvernement, et je suis assuré qu’il saura, le jour venu, rendre d’autres services au pays.
– Le Jeudi 18 février 1993 François Mitterrand est interviewé par France 3 dans le cadre des élections Législatives de mars 1993.
QUESTION – Bonsoir Monsieur le Président, je voulais savoir ce que vous pensez de Michel ROCARD et de ses idées ?
LE PRESIDENT – Michel ROCARD, je l’ai reçu avant hier et il m’a exposé ce qu’il entendait dire le lendemain près de Tours à Montlouis. Il m’a également remis le texte de son discours avant même qu’il ne soit prononcé, donc j’ai eu le temps de l’étudier.
Moi, ce que je pense, c’est qu’on a le droit d’imaginer toutes les coalitions et tous les rassemblements possibles dès lors que cela se produit sur des bases claires, des programmes, qu’on ne met pas les chats et les chiens, pour qu’ils se disputent ensuite, à l’intérieur de la coalition. Pour moi, le souci principal d’abord, je suis fidèle. On dira que c’est peut-être parce que j’ai vécu cela, moi je reste fidèle à un certain idéal de l’union de la gauche qui veut surtout dire l’union de ceux qui votent. L’union, j’estime que c’est un souci qu’il ne faut pas perdre de vue. S’il ne faut pas avoir peur, comme le dit ROCARD, de s’élargir, il ne faut pas lâcher la rampe, il ne faut pas perdre sa base, si bien que le premier souci à se faire, c’est de réunifier ou d’unifier davantage le parti socialiste lui-même. Avant d’élargir ses alliances, il faut que lui-même retrouve son message. S’il le retrouve, si les courants arrivent à disparaître ou à s’effacer au bénéfice de leur formation politique commune, – voyez je parle comme un ancien responsable du parti socialiste, et encore une fois vous me faites sortir de mon rôle – alors je pense que les leaders socialistes pourront, comme le demande Michel ROCARD.
…Mais pensez-vous que le renouveau du parti socialiste soit une bonne chose et que pensez-vous de l’avenir de Michel ROCARD ?
LE PRESIDENT – Sans aucun doute, ce serait une très bonne chose, je le répète – je ne veux pas moi trop me mêler des affaires partisanes, y compris lorsqu’il s’agit de gens d’une formation politique que j’aime – mais ce que je pense c’est que le parti socialiste doit d’abord dominer ses propres contradictions, maîtriser ses propres divisions, retrouver sa propre ligne, rester fidèle à ses origines. Le socialisme, en France, c’est une grande réalité historique et à partir de là, si tout cela se fait, les propositions de Michel ROCARD valent la peine d’être examinées.
Monsieur le Président, Michel ROCARD va tout de même plus loin, puisqu’il parle de rupture, de sacrifice du parti socialiste, vous-même vous avez construit en 1971 ce parti…
LE PRESIDENT – Ce n’est pas une rupture, nous avons fait cela avec le parti qui avait été créé par GUESDE, JAURES et quelques autres, – il y avait sept formations politiques en 1905 – la SFIO, et moi-même en 1971 à Epinay-sur-Seine, j’ai réuni toutes les fractions socialistes, y compris la SFIO. Je veux dire que cela a été un passage de témoin d’un parti socialiste à l’autre, ce n’était pas une rupture.
Michel ROCARD parle tout de même de “big-bang” ; est-ce que cela ne vous fait pas tout de même mal au coeur, justement vous qui étiez au Congrès d’Epinay en 1971 ?
LE PRESIDENT – Je ne pense pas que Michel ROCARD songe à détruire l’oeuvre d’Epinay. C’est vrai qu’il n’y était pas, il y est venu, ce qui prouve que cela l’avait convaincu. Je connais bien Michel ROCARD, je connais ses qualités, c’est un homme intelligent et qui est capable de percevoir les courants de notre société, mais je lui dis amicalement : d’abord réunissez les forces dont vous disposez, rénovez vos idées, vos façons de faire et vos structures, et à ce moment là, vous serez très attractifs, et les autres viendront à vous.
– Le dimanche 12 février 1989, le Président répond aux questions de Anne Sinclair lors de l’émission 7/7 sur TF1.
QUESTION – Il est vrai, encore une fois, que si Péchiney était une entreprise privatisée, on ne vous aurait jamais posé de questions sur cette affaire et on n’aurait pas entendu PASQUA dire “que ce septennat commence mal, c’est une fin de règne”.
LE PRESIDENT – C’est le rôle de Charles PASQUA de dire cela. Une fin de règne ? Ce n’est pas un règne, mais il commence, et il ne commence pas si mal que cela. Le gouvernement de Michel ROCARD travaille bien.(…)
Est-ce que vous avez trouvé judicieuses les attaques – on les a vues tout à l’heure dans le petit film de Michel ROCARD sur les scandales d’hier, et notamment sur l’affaire des diamants de Valéry GISCARD d’ESTAING ? (…)
LE PRESIDENT – Aucune question n’est gênante pour moi. Je dis simplement que le Premier Ministre est peut-être légitimement triste et furieux de voir qu’on essaie de ruiner l’action extrêmement utile de son gouvernement, sur des affaires de ce genre. L’exploitation en est un peu choquante, parce que ce sont des affaires qu’on trouve dans tous les pas. Ainsi va la nature humaine, ainsi vont les sociétés.(…).
Mais moi je comprends Michel ROCARD, et il comprendra très bien lorsque je lui dirai ce soir – il m’écoutera peut-être – que nous n’allons pas perdre de temps dans ces affaires. On est injuste avec nous ! veillons à ne l’être avec personne. Seulement, cela a eu lieu. On ne peut pas demander à des hommes politiques jetés dans une bataille qu’ils n’ont pas désirée d’oublier ce dont ils ont souffert au cours des années précédentes.(…)
Certains ont reproché à Michel ROCARD ce qu’on a appelé son absence dans cette affaire. A part cette sortie là…
LE PRESIDENT – Non, non !
…vous ne lui faites pas ce reproche ? Vous pensez qu’il n’aurait pas dû intervenir plus tôt ou plus vite ?
LE PRESIDENT – Je travaille avec Michel Rocard qui est le Premier Ministre que j’ai choisi. Nous nous rencontrons plusieurs fois par semaine, nous travaillons ensemble. Je n’ai absolument aucune critique à lui faire et je suis même souvent surpris par ses qualités de ténacité, ses qualités de dialogue. Il apporte une note très particulière à la politique française et je pense que les Français s’en rendent compte. Alors ne me mettez pas en contradiction avec lui. Il sait bien que je suis toujours là pour écouter ce qu’il a à me dire, et quand on me reproche de me taire trop longtemps, lui sait bien que de semaine en semaine je débats avec lui de la manière de faire pour conduire la France. (…)
Sur l’Education Nationale :
LE PRESIDENT … C’est quand même très important qu’un crédit de formation de 4 milliards permette, en un an, à 100.000 jeunes, qui n’ont pas, comment dirais-je, suffisamment réussi dans leurs études, de compléter leur formation pour avoir un métier, 100.000 jeunes chaque année, sur la base de crédits importants.(…)
Croyez-moi, ce crédit formation représentera, aux yeux de tous les Français, d’ici peu, une des plus grandes réformes, un des plus grands progrès auxquels aura abouti le Gouvernement de Michel ROCARD.