Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République, et de M. Vaclav Havel, Président de la République tchécoslovaque,
notamment sur la situation dans les pays Baltes et en Lituanie et la réunification allemande face à la construction européenne, Paris, le 20 mars 1990
Mesdames,
– Messieurs,
– La France a le grand plaisir de recevoir la visite du Président de Tchécoslovaquie, M. Vaclav Havel.
– Nous avons déjà eu hier plusieurs heures de conversations, le Président tchécoslovaque a lui-même rencontré beaucoup de personnalités dirigeant la vie politique française. Je crois qu’il a été très intéressé par sa rencontre avec Paris et avec la France, mais il vous le dira lui-même.
– Bien entendu, nous avons abordé un certain nombre de problèmes majeurs, ceux qui nous intéressent directement, les relations bilatérales entre nos deux pays, les questions européennes qui se posent avec une acuité chaque jour renouvelée et quelques grands problèmes touchant à l’équilibre du monde. C’est à vous, mesdames et messieurs, de prendre l’initiative des questions, donc, nous les attendrons pour vous répondre mais avant cela le Président Vaclav Havel souhaiterait faire une déclaration liminaire, donc je vais lui laisser la parole.
– M. VACLAV HAVEL.- Merci à monsieur le Président de ces belles paroles, je suis à votre disposition messieurs et mesdames les journalistes.
QUESTION.- Monsieur le Président, avant votre arrivée en France vous avez eu une certaine idée de ce pays, est-ce que votre idée a pris corps ?
– M. VACLAV HAVEL.- J’ai connu la France dans les lectures que j’ai faites toute ma vie et puis lors d’un court séjour que j’ai fait en 1968 et de nombreuses choses m’ont surpris, notamment, l’accueil amical et aimable qui nous a été réservé ici.
– Nous sommes venus pour redécouvrir la France comme une grande amie et je dois vous dire que cette découverte a été plus que satisfaisante.
– QUESTION.- La vente d’armements a l’étranger est une des principales sources de devises étrangères dans l’économie de votre pays, est-ce que la situation va demeurer la même sous la nouvelle Tchécoslovaquie sinon qu’allez-vous faire pour compenser ce manque à gagner ?
– M. VACLAV HAVEL.- La Tchécoslovaquie avait une industrie militaire importante, c’était déjà dû à une tradition d’avant la guerre. Aujourd’hui nous arrêtons la vente d’armes à tous les régimes dictatoriaux et totalitaires. Les commandes militaires de l’armée tchécoslovaque et du Pacte de Varsovie connaissent un abaissement important et maintenant nous pensons à la reconversion de notre industrie militaire et ne nous en voulez pas si nous allons continuer encore pendant un certain temps de fournir des armes aux pays démocratiques.
– QUESTION.- Monsieur le Président est-ce que le rôle du Président n’est pas celui des plus fatigants pour vous comme vous avez écrit dans vos pièces et du point de vue physique et psychique ?
– M. VACLAV HAVEL.- J’ai réitéré à maintes reprises que le fait d’avoir été emprisonné m’a appris à n’être surpris de rien ce qui est une préparation excellente dans mes fonctions présidentielles, ensuite je suis tellement débordé de travail que je n’ai pas le temps d’être surpris. Je n’ai même pas le temps de penser aux responsabilités importantes que je dois supporter.
– QUESTION.- Monsieur le Président de la Tchécoslovaquie, j’aimerais vous demander si l’écrivain Vaclav Havel a encore le temps de prendre des notes sur la carrière de Président de la Tchécoslovaquie ?
– M. VACLAV HAVEL.- Evidemment, je n’ai pas le temps pour ces choses-là, si je ménage un peu de temps pour écrire, ce n’est que pour écrire les discours les plus importants.
QUESTION.- Je voudrais vous demander, monsieur le Président, ainsi qu’au Président Havel, si vous avez évoqué lors de vos entretiens la situation dans les pays Baltes, notamment la situation en Lituanie, est-ce que vous estimez que l’évolution actuelle est inquiétante ?
– LE PRESIDENT.- Nous avons abordé quelques grands problèmes internationaux ; bien entendu, se pose parmi ces problèmes, l’actuel devenir de l’Union soviétique, comme celui des Etats qui viennent de retrouver avec la démocratie, ou en passe de le faire, une très grande autonomie de décision. Nous n’avons pas spécialement parlé du problème de la Lituanie, mais on peut dès maintenant vous répondre. Vous savez, ainsi que M. le ministre des affaires étrangères Roland Dumas l’a rappelé ce matin, pour ceux qui ne s’en souviendraient pas, la France n’a jamais reconnu l’annexion de la Lituanie par l’Union soviétique. Et nous avons continué de considérer que ce pays était en situation de réclamer justement sa souveraineté.
– Nous ne voulons pas nous précipiter, interférer dans un débat qui se déroule actuellement entre le Président des Républiques soviétiques et le mouvement qui a entraîné le Parlement lituanien à prendre les décisions que vous savez. Mais d’une part nous pensons, je ne dis pas simplement nous souhaitons, nous pensons que ces crises ne devraient pas se dérouler sous le signe de la force. Nous espérons alors que cette fois-ci elles aboutiront à la reconnaissance des droits de la Lituanie, mais nous ne voulons pas pousser non plus à des démantèlements qui relèvent encore pour l’instant du dialogue entre les diverses composantes de l’Union soviétique. Donc, vous connaissez notre position de principe et pour le reste nous souhaitons que M. Gorbatchev et les nouveaux dirigeants de la Lituanie puissent mener à bien leurs conversations.
– M. VACLAV HAVEL.- De nombreux documents internationaux stipulent le droit à la souveraineté en tant qu’un des droits collectifs y compris le droit à trouver soi-même la forme de l’identité d’Etat indépendant. Ce droit se voit ancré même dans la Constitution de l’Union soviétique. Nous espérons comme la France, que les prises de position respectives trouveront une solution pacifique.
QUESTION.- Monsieur Havel, j’ai eu le plaisir de visiter Prague, il y a huit jours, et j’ai été étonnée par le nombre de touristes, le nombre d’étrangers qui sont là actuellement. Comment allez-vous faire face à cette invasion d’étrangers et surtout à l’investissement étranger, est-ce qu’il n’y a pas de danger, de risque pour la Tchécoslovaquie dans tout cela ?
– M. VACLAV HAVEL.- La Tchécoslovaquie s’est ouverte au monde et à l’Europe. Elle a coupé les barbelés sur les frontières et en le faisant elle savait très bien ce qu’elle était en train de faire. L’arrivée de touristes exercera la pression afin de multiplier la construction des hôtels, le fait que les étrangers feront des achats importants en Tchécoslovaquie exercera une pression sur l’industrie et sur l’économie tchécoslovaque, cela va déboucher sur une amélioration et une rectification du système des prix actuels et en ce qui concerne les investissements étrangers la participation aux sociétés mixtes. Nous allons veiller d’ailleurs à ce que la majorité des participations dans les entreprises ne soient pas, ne se retrouvent pas dans les mains des étrangers.
QUESTION.- Pendant les jours de la révolution dite de velours, votre ami l’économiste Vaclav Klaus dressait un bilan relativement optimiste de la situation tchécoslovaque. Est-ce que maintenant que vous êtes au pouvoir, que vous avez toutes les données, est-ce que vous maintenez ce point de vue optimiste ou est-ce que la réalité que vous avez découverte est plus compliquée que celle que vous pensiez trouver ?
– LE PRESIDENT VACLAV HAVEL.- Naturellement tout est bien pire que ce que nous avions pensé, néanmoins ce n’est pas si tragique que cela. Nous pouvons compter sur un potentiel créateur de nos peuples assez important, donc le point de départ est assez bien. Le problème c’est une structure économique qui est loin d’être raisonnable. Le budget d’Etat par exemple subventionne l’industrie lourde alors que ce devrait être cette dernière qui devrait subventionner le budget. La production de l’énergie nous coûte plus d’énergie que ce qu’elle produit finalement. On a mis au point un large projet de toute une restructuration de l’économie nationale. Il est dans notre intérêt que l’ensemble de ce processus se déroule sans crise. Il est bien possible qu’il pourrait en être ainsi. C’est tout à fait réel.
QUESTION.- Le résultat des élections en RDA a été interprété par beaucoup de monde comme un vote pour la voie rapide à l’unification. Est-ce que vous êtes, monsieur le Président Mitterrand et vous monsieur le Président Havel, d’accord pour que le processus engagé soit encore accéléré et par exemple l’union monétaire établie avant l’été ?
– LE PRESIDENT.- Je crois qu’en posant la question, vous avez également apporté la réponse. Qui pourrait douter que le résultat de ces élections marque une volonté plus forte encore qu’il n’était prévu, d’accélérer le processus d’unification entre les deux Etats allemands. C’est très bien comme cela. J’ai toujours dit que cela relevait de la décision des Allemands. Cette décision a pratiquement été signifiée dimanche dernier. Maintenant on passe à la pratique, c’est-à-dire à la mise en place de l’unification. Il y a tout lieu de penser qu’elle ne traînera pas sous ses divers aspects que vous venez de citer notamment économique et monétaire. Tout cela, quelqu’estimation que l’on ait faite, entre dans l’ordre et la logique des choses. Donc chacun doit s’y préparer et recevoir cette nouvelle comme un grand événement qui, puisqu’il marque bien la volonté du peuple allemand, doit être accueillie avec amitié par les voisins de l’Allemagne, en tout cas particulièrement par la France.
– LE PRESIDENT VACLAV HAVEL.- Nous avons su que l’Allemagne avait souhaité s’unir même avant les élections, les élections ne l’ont que confirmé. Nous, la Tchécoslovaquie, prêtons une grande attention à la situation internationale, à la politique étrangère, à la construction de l’Europe, c’est pourquoi d’ailleurs je voyage tant car nous nous rendons tout à fait compte que nous ne pourrons évoluer qu’au sein d’une Europe stabilisée. A plusieurs reprises, nous avons mis en relief que le processus de l’unification de l’Allemagne devrait représenter une sorte de moteur véhiculant l’unification de l’Europe et pas son frein, qu’elle devrait avoir lieu dans le contexte européen et dans une atmosphère de confiance. C’est la tâche des Allemands de se débarrasser de quelques restes éventuels d’une grande Allemagne. Avec M. le Président Mitterrand aussi bien qu’avec le ministre des affaires étrangères, nous avons longtemps délibéré sur l’avenir de l’Europe. Pour des raisons évidentes, cet avenir nous préoccupe largement, nous avons confronté nos idées respectives, et à ma grande joie, j’ai pu constater qu’elles sont presque identiques.
QUESTION.- Monsieur le Président Mitterrand, est-ce que l’accélération du processus d’unité allemande risque d’avoir des conséquences sur l’intégration européenne, lesquelles, comment peut-on les notifier dans un sens positif ?
– LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que cela puisse avoir des conséquences quant à la nature même de la communauté. Il y aura simplement un pays représentant un plus grand nombre de citoyens avec ce que cela représente de réalités économiques et politiques. Mais fondamentalement, cela ne change rien au fait qu’il y aura une Allemagne non pas vraiment différente mais quand même nouvelle, mais l’Allemagne a sa place éminente au sein de la Communauté des Douze avec une représentation déjà déterminée. Il est possible même que certains embarras qui ont pu être observés au cours des mois précédents, qui étaient dûs, pour une large part, aux difficultés du processus qui devait conduire à l’unification, cette hypothèque étant levée, beaucoup d’éléments positifs pourront être réunis dans les semaines et mois qui viennent afin de faire avancer l’unification européenne. C’est en tout cas à quoi la France travaillera. Dès le premier jour, vous vous souviendrez que nous avons dit que les deux formes d’unité devaient s’accomplir d’une façon concomitante, l’Allemagne, la Communauté, on pourrait ajouter une troisième : l’Europe dans son ensemble.
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a quelques jours, ici même, le Président Kohl répondait non à une accélération de la date pour la conférence intergouvernementale préparatoire à l’union économique et monétaire. Ce matin même, Roland Dumas a réclamé à nouveau cette accélération. Est-ce qu’il y a des éléments nouveaux qui vous permettent d’être plus optimiste ?
– LE PRESIDENT.- L’optimisme tient à la résolution qu’on a. Il est possible que les données de ce problème changeant, les réponses qu’on apporte à ce problème changeront aussi. Et je continue de penser qu’il serait souhaitable d’avancer les échéances européennes.
QUESTION.- Monsieur le Président Havel. Vous avez parlé, tout à l’heure, d’un grand projet de restructuration économique. Je crois qu’il y a eu dans votre pays, parmi vos amis, un débat à ce sujet, un débat politique et qu’on a demandé de le trancher. Est-ce que vous l’avez fait, ou est-ce que vous pensez pouvoir attendre jusqu’aux élections ?
– LE PRESIDENT HAVEL.- Tout d’abord, j’aimerais vous signaler que je ne suis pas un autocrate, je ne peux pas prendre de décision moi-même. Je souhaiterais préciser également que le processus de la réforme qui se trouve devant nous est quelque chose qui n’a pas de précédent historique, nous ne pouvons faire référence à aucun événement dans le passé. Il y a de différentes théories économiques, il y a des économistes dont les points de vue diffèrent largement, et je trouve tout à fait naturel que le gouvernement ait le droit de se pencher pendant quelques semaines sur ces questions. Aujourd’hui, les prises de position sont déjà assez bien définies et on est en train maintenant de lancer un calendrier de cette réforme, ce qui ne veut pas dire du tout qu’elle n’a rien fait dès ses débuts. Le gouvernement a préparé le premier paquet de projets de loi concernant l’économie, les entreprises privées et autres qui ont été proposés à l’Assemblée. Dans les jours à venir, d’autres lois seront présentées, ce qui fera une sorte d’ensemble avec les trois lois précédentes. C’est loin d’être toute une réforme, cependant cela sera déjà une avant-garde de cette réforme.
– Ensuite, d’autres démarches seront précisées. Le gouvernement, dans sa déclaration-programme, a déjà esquissé les grandes lignes du développement et maintenant il est en train de mettre au point un calendrier plus précis. Il se trouve dans une situation qui n’est pas du tout enviable : pour sa prise de position, il doit prendre en considération tout en même temps les questions sociales, la situation internationale, il doit trouver un équilibre entre les différentes pressions financières… il serait sûrement intéressant de continuer dans ce sens mais il y a certainement d’autres questions.
QUESTION.- Monsieur le Président Havel, votre pays pratiquait une politique étrangère unilatérale dans laquelle, dans certains pays, un système socio-différent était exclus, comment définirez-vous la nouvelle politique de votre pays envers les pays du tiers monde ?
– LE PRESIDENT HAVEL.- En principe, la Tchécoslovaquie souhaiterait avoir des relations amicales avec tous les peuples. Evidemment, par rapport aux régimes différents, elle a une approche différente. Cependant, la Tchécoslovaquie comprend ses relations diplomatiques comme, notamment, des relations avec des peuples. Jusqu’à présent nous avons renoué des relations diplomatiques avec Israël, avec le Vatican et, sans aucun doute, nous allons renouer d’autres relations, là où elles n’existent pas encore. Nous pensons devoir avoir des relations amicales avec tous les peuples du monde.
– QUESTION.- Monsieur le Président Havel, dès le début des événements en Tchécoslovaquie en novembre dernier, votre mouvement, le “Forum civique” plaidait pour une Europe centrale sans bloc, débarrassée des alliances militaires, donc située à l’extérieur de ces alliances. Est-ce que vous pouvez, d’une part préciser votre position aujourd’hui, et, d’autre part, est-ce que vous pensez que la France peut contribuer à l’émergence d’une telle nouvelle Europe centrale ?
– LE PRESIDENT HAVEL.- Nous pensons que, dans l’avenir, l’Europe sera une dans la diversité, par une coïncidence les pays de l’Europe centrale ont été repoussés de cette Europe dans le passé et ils souhaitent tous y revenir. Ils se trouvent tous dans la même situation, il est donc compréhensible que ces pays souhaitent coordonner leur rentrée. Si on construit des liens au niveau centre-européen ou si on fait appel aux organismes européens déjà existants, ce n’est que pour aider cette partie de l’Europe à rentrer dans l’ensemble de l’Europe.
QUESTION.- Monsieur le Président de la République française, dans quelques jours le Parlement va ouvrir sa nouvelle session et ce n’est pas un hasard si on entend déjà aujourd’hui évoquer un certain nombre de questions qui seront à l’ordre du jour et, en particulier, l’Europe. Est-ce que vous avez le sentiment que, au sein des différentes familles politiques françaises aujourd’hui il y a une sorte de consensus sur l’avenir de l’Europe, est-ce que les idées des uns et des autres sont partagées avec les vôtres ?
– LE PRESIDENT.- Ce consensus, on verra bien. Dès maintenant, en tout cas une large majorité se dessine clairement en faveur de la construction de l’Europe à partir de la communauté des Douze, à la fois pour demander que cette communauté pût resserrer ses rangs autour de structures plus fortes avec des objectifs de toutes sortes, en particulier des objectifs politiques, ce sentiment est le mien, et d’autre part, devant les événements qui se déroulent avec la cadence que vous savez dans ce que l’on appelait l’Europe de l’Est, qui est aussi l’Europe centrale. Puisse naître un type nouveau d’organisation qui permette à tous les pays d’Europe qui ont engagé une évolution démocratique de se retrouver. Là-dessus, des propositions diverses ont été émises, elles tournent toutes autour des mêmes principes. Premièrement que tous les Etats d’Europe d’inspiration démocratique puissent se retrouver. Deuxièmement : dans une organisation commune. Troisièmement avec des droits égaux. Quatrièmement pour débattre des quelques domaines qui leur seront communs : sécurité, échanges économiques, échanges commerciaux, échanges culturels, et sans doute un certain nombre de grands projets de caractère technologique, sans oublier l’environnement, ces derniers domaines échappant à toute notion de frontières.
– Alors, nous en avons parlé beaucoup avec le Président Havel, c’est un sujet qui nous occupe depuis déjà pas mal de temps. J’ai là la note qui résume les propos du Président Havel, lorsqu’il pense à plusieurs étapes successives : la création d’une commission pour la sécurité en Europe, l’organisation, une organisation des Etats européens, on peut dire à l’image un peu de l’organisation des Etats américains, et enfin le débouché sur une confédération européenne, ce en quoi on rejoint le projet que j’ai moi-même lancé le 31 décembre 1989.
– Mais cela est complémentaire, cela n’est pas exclusif d’autres formes d’organisation et ne représente pas une substitution à la Communauté européenne, tout cela s’enchaîne et se lie. Car il ne serait pas normal que notre continent tout entier, dès lors qu’il aura accédé à une évolution caractérisée vers des institutions représentatives, ne soit pas en mesure d’organiser son propre espace. Héritier d’une histoire contrastée mais quand même d’une histoire qui est propre à ce continent sur une géographie finalement étroite par rapport à d’autres continents, avec des modes de culture qui se rapprochent extrêmement et des échanges déjà très anciens, dans certains cas millénaires, je pense que là-dessus, en effet, il y a une forte majorité en France qui s’exprimerait favorablement, cela devrait se retrouver au Parlement.
QUESTION.- Monsieur Havel, dans bon nombre d’anciens pays issus du réel socialisme, apparaissent des courants nationalistes qui menacent de provoquer et de faire une cassure dans la société et d’empêcher la reconstruction de la démocratie, à tel point que la presse française a jugé que la Yougoslavie pourrait constituer un futur Liban. Qu’en pensez-vous en tant que Président, puis en tant qu’homme qui a souffert ?
– LE PRESIDENT VACLAV HAVEL.- Entre des dizaines de problèmes latents qui somnolaient sous la surface des pays soi-disant du socialisme réel, on trouve également le problème des identités nationales, des identités de différentes nations, au moment où cette écorce a éclaté tout d’un coup tout un nombre de problèmes en sont ressortis y compris le problème nationaliste. C’est tout à fait naturel, nous espérons que l’évolution prendra le chemin pacifique, qu’il n’y aura pas de conflit, nous espérons qu’on arrivera partout à trouver une solution de l’organisation étatique qui correspondra aux souhaits des peuples, et évidemment, dans la mesure de nos possibilités, nous ferons de notre mieux pour que l’évolution prenne ce chemin-là.
– LE PRESIDENT.- Je tiens à redire ici à quel point la France et moi-même, combien la France est honorée, combien je me sens moi-même honoré par la visite du Président Vaclav Havel. Son nom et son action signifiaient déjà beaucoup pour le devenir de l’Europe et celui de la démocratie. Cette visite amicale, très amicale replace nos deux pays sur une voie dont ils n’auraient jamais dû s’écarter. A partir de là, par des échanges multiples, par des visites d’Etat, par des débats au sein de conférences internationales, nous assisterons sans aucun doute à un resserrement de ces liens. Cela se doit pour beaucoup à l’action personnelle de M. Vaclav Havel.
QUESTION.- M. Havel, votre vie et votre oeuvre sont à la mesure de votre courage dans votre pays. Lors de votre visite aux Etats-Unis, à la question du Président Bush qui vous a demandé “Que souhaitez-vous ?”, vous avez répondu “aider l’Union soviétique”. Un homme qui est capable de répondre de la sorte force l’admiration. Avez-vous un message venant de l’Est pour les Occidentaux, croyez-vous à un renouveau spirituel et humaniste venant de l’Est ? Je pose également cette question au Président Mitterrand ?
– LE PRESIDENT VACLAV HAVEL.- Je trouve que ce message devrait être le rôle de l’ensemble de l’Europe vu ses traditions historiques, ses traditions spirituelles. Je trouve que dans le monde actuel, le monde sauvage, ce continent devrait s’efforcer de maintenir une certaine spiritualité, lutter contre une commercialisation totale de la vie, contre des totalitarismes, de veiller toujours à ce que les intérêts globaux prévalent les intérêts particuliers.
– Je pense que si l’expérience des pays qui jusqu’auparavant avaient vécu sous le règne totalitaire pourrait enrichir le continent, alors tant mieux.
– Puisque j’ai la parole, j’aimerais en profiter pour vous dire que je suis tout à fait d’accord avec le Président Mitterrand quand il avait dit que nos vues ont été proches, en fait j’aimerais dire que nous nous sommes compris de façon tout à fait excellente avec tous les hommes d’Etat, tous les hommes politiques avec qui nous avons eu des discussions, ici en France. Nous avons été particulièrement touchés par l’accueil extrêmement chaleureux et amical qui nous a été réservé en France. Nous avons l’impression que nous avons renouvelé des bonnes relations qui existaient dans le passé et que nous nous engagerons sur le même chemin vers l’avenir.
– LE PRESIDENT.- J’ajouterai simplement quelques mots pour vous dire que l’Europe est une par les sources de sa culture, par ses sources spirituelles et que même si les philosophies qui se sont exprimées depuis l’origine sont souvent différentes, elles expriment les interrogations de l’homme mais de l’homme européen à sa manière. L’Europe doit être plus encore aujourd’hui une au travers d’une évolution que l’on observe vraiment partout, vers la même forme d’organisation de la société, c’est-à-dire une société démocratique. On voit donc se dessiner après tant de siècles, de heurts, de luttes, quand l’Europe était – il faut le dire – au centre de l’histoire du monde, elle peut redevenir ce centre, mais au travers de cette unité à laquelle nous travaillerons.
QUESTION.- Pendant la dernière campagne électorale vous avez fait preuve, monsieur le Président d’une maîtrise admirable, d’un sang-froid absolu si notre Président vous le demandait, quels conseils lui donneriez-vous pour la même occasion ?
– LE PRESIDENT.- Je ne lui dirai pas faites comme moi, je lui dirai faites comme vous êtes et comme vous pensez et j’ai bien le sentiment que telle est sa façon d’être à lui c’est-à-dire d’être semblable à lui-même. Je crois qu’il n’y a pas d’autre secret, de ne rien interposer entre soi et les autres en étant tel que l’on sent être soi-même.
– M. VACLAV HAVEL.- J’aimerais mettre en oeuvre cette sorte de conseil.
– LE PRESIDENT.- Il ne m’a pas demandé en plus mais je ne souhaite pas lui donner un conseil par personne interposée. Enfin, puisque vous m’interrogez, voilà ce que je vous réponds, surtout qu’il ne me ressemble pas.