En 2016, année du Centenaire, l’Institut François Mitterrand fut invité plusieurs fois pour des commémorations en Belgique. Gilles Ménage prononça 3 discours sur François Mitterrand, à Bruxelles, Verviers et à Ans, le 21 mai 2016 au Château de Waroux qui accueillait une grande exposition sur l’ancien Président. Ici il construit son discours autour de plusieurs écrits de François Mitterrand (textes et allocutions) qu’il cite pour évoquer les visites Liégeoises et l’engagement européen de François Mitterrand.
Ce texte, son texte, montre ô combien Gilles Ménage s’est investi dans le Centenaire de François Mitterrand. investi dans son organisation mais également pour représenter l’Institut François Mitterrand lors des très nombreuses commémorations en Province et même à l’étranger.
Cérémonie commémorative de la prise de fonctions de François Mitterrand
le 21 mai 1981 au Palais de l’Elysée
Château de Waroux à Ans le 21 mai 2016
Monsieur le Bourgmestre de Liège, Président de la Fédération de Liège du P.S. (Willy Demeyer),
Monsieur le Bourgmestre d’Ans (Stéphane Moreau),
Monsieur l’Echevin de la Culture de la commune d’Ans (Thomas Cialone),
Monsieur le Commissaire de l’exposition François Mitterrand (Christophe Kersteens),
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
C’est une joie, un honneur et une chance d’être parmi vous pour célébrer, à l’occasion de l’exposition François Mitterrand que vous avez organisée, l’anniversaire du jour de sa prise de fonctions à l’Elysée le 21 mai 1981, il y a exactement 35 ans.
Je voulais vous en remercier chaleureusement et vous féliciter des efforts réunis pour parvenir au très beau résultat que vous avez obtenu, ce qui du reste a déjà été très largement salué dans les médias, en regroupant deux expositions et la présentation de divers documents et objets, témoins des visites de François Mitterrand à Liège.
Comme vous le savez, ont participé à ces présentations, l’association Présence et Action culture (PAC) avec le soutien du Parti socialiste, l’Institut Liégeois d’Histoire sociale et Plantu qui a bien voulu présenter un florilège de ses meilleurs dessins, complétés par ceux du regretté Wolinski à qui nous rendons tout particulièrement hommage, je cite également l’Institut François Mitterrand qui a conçu et réalisé l’exposition mobile qui retrace les étapes de la vie de François Mitterrand.
Un mot de présentation de l’Institut François Mitterrand, voulu et défini par François Mitterrand avant sa disparition.
Ce n’est pas un lieu de conservation de la mémoire d’un petit groupe de « mitterrandolâtre », ce n’est pas un « think tank », expression très à la mode pour désigner les inspirateurs d’idée (même si en anglais la dénomination est totalement banale « réservoir d’idée »), ce n’est pas enfin un organisme ayant ni de loin ni de près une vocation politique.
Notre mission est de contribuer par de multiples moyens à la recherche et à la diffusion de la réalité historique, de faire connaître l’ampleur de son rôle et de la diversité de ses actions (ce sera particulièrement le cas tout au long de cette année du centenaire à laquelle vous apportez aujourd’hui votre utile contribution).
Cela n’empêche pas la diversité des opinions et le bien fondé des critiques. Elles sont à plusieurs égards utiles et salutaires.
Les faits étant démontrés par les manifestations, colloques, publications que nous initions et résultant des travaux corollaires des chercheurs et universitaires que nous accueillons, il n’y a pas meilleur avocat devant l’Histoire que François Mitterrand lui-même, ni de plus efficace défenseur face à ses rétracteurs.
Nous sommes en charge de l’Institut François Mitterrand depuis 2003 avec bien évidemment Mazarine Pingeot, Gilbert Mitterrand et Michel Charasse, entre autres.
A ce propos, je voudrais dire à Monsieur Christophe Kersteens qui m’avait chargé de transmettre ses invitations à Mazarine, Gilbert et Michel Charasse qu’ils m’ont répondu en indiquant ne pouvoir être présents, mais en me chargeant de vous transmettre, ainsi qu’à tous les participants ici présents et au-delà, aux militants et amis belges leurs regrets et leurs remerciements pour le magnifique élan auquel vous contribuez en cette année du centenaire de la naissance de François Mitterrand, ici en Belgique, pour célébrer sa mémoire et saluer son action auxquelles vous demeurez si fidèlement attachés.
Les expositions et témoignages que vous avez rassemblés sont excellemment illustrés, trois thématiques :
– Le déroulement de la vie de François Mitterrand ,
– Son engagement européen,
– Ses liens avec la ville de Liège, La Cité ardente.
C’est au vu de la richesse des témoignages présents que, sans nul doute, les commentateurs ont titré à propos de votre initiative « La quatrième apparition de François Mitterrand à Liège » ou « François Mitterrand est de nouveau à Liège ».
Les liens et l’amitié de François Mitterrand pour la ville de Liège
En effet :
La première visite remonte au 11 octobre 1973 pendant laquelle à l’invitation du Comité régional de « Présence et Action Culturelle » François Mitterrand avait présenté et commenté la création du nouveau Parti Socialiste à Epinay en 1971.
J’ai lu dans « Liège 28 » à propos de l’unité socialiste ainsi retrouvée – et de quelle manière ? -, la réminiscence qui semble en ce jour, un peu facétieuse de l’existence en France à la fin du 19e siècle de 7 partis socialistes que Jean Jaurès a par la suite réunifiés.
Au vu de ce précédent, il n’y a donc pas lieu aujourd’hui de désespérer.
Puis en 1976, François Mitterrand revient à Liège pour apporter son soutien lors d’une campagne électorale au Parti socialiste liégeois.
7 ans plus tard, lors d’une visite d’Etat en Belgique, François Mitterrand, Président de la République rendit visite à Liège, le 14 octobre. Il se rendit au Palais provincial de Liège, puis à l’Hôtel de Ville où il prononça deux discours avant de donner une conférence de presse, juste avant son départ pour la France à l’aéroport de Liège-Bierset.
Ce sont des interventions, si j’ose dire, classiques en ce genre de circonstances. Mais plusieurs traits les caractérisent :
Bien sûr le rappel de l’amitié traditionnelle et chaleureuse entre les peuples belges et français,
– au Palais provincial :
« Vous avez bien voulu rappeler quelques souvenirs qui nous unissent. J’ai déjà dit en d’autres lieux que j’avais à travers les années, parcouru vos routes, visité vos villes et que je m’étais attardé, pas autant qu’il le faudrait, mais déjà assez pour avoir pénétré votre culture, vos œuvres d’art, vos musées, la vie de chaque jour aussi qui marque la continuité et la capacité de rêver, de créer, de se mettre à l‘ouvrage et de compter parmi les peuples fiers. »
« Je vous redis donc cet attachement. Je désirais venir à Liège et m’y voici. Je vais passer avec vous quelques heures, trop peu d’heures. Cependant, à la fois par ces paroles que je viens d’entendre, par l’accueil de la ville, par votre présence ici, mesdames et messieurs, je n’ai pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour ressentir la qualité d’une hospitalité sans doute traditionnelle, mais qui sait aussi se renouveler en chaque occasion. »
Mais aussi le rappel à l’Histoire qui a nourri l’amitié avec la Belgique et avec Liège en particulier.
Cette référence est soulignée lors des deux allocutions prononcées à l’Hôtel de Ville et au Palais provincial :
– à l’Hôtel de Ville :
« Dans cette cité vieille de treize siècles, à deux pas de l’endroit où naquit le premier visionnaire et le premier fondateur de l’Europe : Charlemagne. Assurément, Liège, Monsieur le Bourgmestre, c’est d’abord pour moi l’ami, la très vieille amie de la France. Liège, « petite France de la Meuse », disait Michelet, mais aussi grande Liège, dans une région et une province proches de nous par tant d’aspects. »
« Votre ville est mêlée à notre Histoire comme nulle autre cité extérieure. Vous nous avez envoyé vos artistes, vos créateurs, je pense en cet instant à vos musiciens, de Grétry à César Franck, et puis nous vous avons apporté, nous aussi, après avoir profité de vos techniques – en particulier celle de l’imprimerie – nous avons apporté en échange, à vos ancêtres, un certain nombre de nos atouts avec, de part et d’autre, cette flambée que provoqua l’esprit des lumières, flambée qui aboutit à la Déclaration des Droits de l’Homme et des Citoyens, que nous avons à partager, si j’en juge par les grands esprits qui l’inspiraient. »
Mais, ajoute-t-il, l’histoire enchaîne à plusieurs siècles d’intervalle « l’amour déçu, parfois l’amour trahi » et « les instants de solidarité et de ferveur partagée. »
François Mitterrand évoque d’abord à deux reprises le dernier épisode de ce que l’on a appelé les « guerres de Liège » qui de 1465 à 1468 opposèrent Charles le Téméraire, Duc de Bourgogne, à la Principauté de Liège qui se rebelle à plusieurs reprises contre la volonté de la maison de Bourgogne de mettre la main sur cette enclave qui séparait en deux les Pays Bas bourguignons.
En dépit de deux précédentes défaites en 1465 et 1467, les Liégeois continuaient de tenir tête et refusaient la domination bourguignonne.
En 1468, Charles le Téméraire entreprit une nouvelle fois de mater la ville rebelle et se rendit à proximité, accompagné de Louis XI qu’il avait contraint de le suivre après l’avoir retenu à Péronne.
Pendant cette présence, 600 Franchimontois, hommes du Pays de Franchimont, sortirent furtivement de Liège pour attaquer les Bourguignons dans le but de tuer le Duc de Bourgogne et le Roi de France. Ils furent tous tués et le lendemain en guise de représailles la ville de Liège fût mise à sac et incendiée.
François Mitterrand évoque le souvenir du Duc de Bourgogne de façon assez étonnante. Non pas qu’il soit incontestable que Liège fut en cette circonstance lointaine, mais tragique, victime de sa fidélité.
Mais la véritable question posée par le Président était : qui fut à l’origine de cet épisode tragique ?
Charles le Téméraire ? Mais pas complètement suggère le Président car, bien que prisonnier du Duc de Bourgogne, Louis IX démontra sa duplicité en n’apportant pas aux Liégeois l’aide militaire qu’il leur avait promise à plusieurs reprises.
Ainsi, répondant au gouverneur de la Province qui avait précédemment abordé le sujet, semble-t-il, avec quelque indulgence pour le parti bourguignon, François Mitterrand lui dit : « Vous avez raison, Monsieur le Gouverneur, après tout Charles le Téméraire n’était pas si mal que ça ». Et de rappeler son ancrage en Bourgogne pendant 35 ans en tant que (sic) « Député de Bourgogne ».
Mais prudent et avisé, plus loin le Président nuance ses propos comme suit :
« J’ai toujours eu quelques penchants pour ces grands Princes, Français de France, je m’inquiétais de leur ambition, parfois de leurs talents, difficilement comparables, et je me suis réjoui de ce que finalement l’unité de mon pays pût l’emporter. Mais je connais aussi la richesse et la force de l’apport bourguignon. J’ajoute que ma femme, ici présente, est bourguignonne, ce qui veut dire que nous avons beaucoup de raisons d’avoir fréquenté cette histoire des temps lointains jusqu’à ce jour. »
« Et pourtant c’est vrai que vous auriez pu en vouloir à la France, à son Roi, et je suis sûr que dans la présence de votre mémoire, cela compte ».
« Pourquoi irai-je insister sur ce point ? Parce que la qualité de nos rapports, la force de notre amitié, la permanence de ce qui nous rassemble, a su précisément s’affirmer au point qu’on oublie ou qu’on veut oublier et que très aisément nous nous retrouvons entre nous, face aux problèmes qui se posent au monde, à l’Europe, à votre province comme à mon pays. Marche difficile à travers des obstacles, mais qui nous voit, presque toujours, profondément unis sur la même route ».
Il était temps. Car j’aurais mal imaginé que, pour François Mitterrand, le Duc l’emportât sur le Roi.
Puis, à l’Hôtel de Ville, suit l’évocation de la conduite exemplaire de la ville de Liège en 1914 et en 1940.
« Cette amitié entre Liège et la France trouve aussi, vous l’avez dit et je ne crains pas de le répéter, son origine dans les épreuves subies au cours des deux récentes guerres mondiales qui ont marqué nos générations. Le peuple français n’a pas oublié et n’oubliera pas l’héroïque défense que vous évoquiez lorsqu’en 1914 elle a retardé l’avance de l’armée ennemie et a permis à mon pays de regrouper ses forces pour livrer la bataille décisive sur la Marne ».
Et comme il était naturel que le Président de la République française vînt comme le Général en chef des Armées alliées ici même (en 1919) pour remettre à la ville la plus haute distinction du premier Ordre national de France qui porte ce nom d’Honneur !
« Oui, Liège est une ville où l’on a le sens de l’honneur. Mais s’étonnera-t-on, après cette esquisse d’un récit, que l’esprit de résistance ait toujours animé votre peuple, que rien n’ait jamais pu le faire plier ? »
« Volonté affirmée au cours de la seconde guerre mondiale que nous avons vécue, nombreux d’entre vous comme moi-même, je veux dire nombreux de ma génération et celle d’alentour, malgré les drames dont témoigne l’Enclos des Fusillés, ce monument national belge à la résistance et ses héros, ses héros survivants parmi lesquels j’aperçois la figure du baron Pierre Clerdent, Chef de l’armée nationale clandestine ».
« Une telle volonté de vivre est le premier de vos atouts dans les difficultés d’aujourd’hui comme celles d’hier En témoignent, avec votre population nombreuse, active, créatrice, vos industries, en dépit de la crise, votre université vos écoles d’ingénieurs, vos établissements culturels. »
L’engagement européen de François Mitterrand
Si j’aborde ce problème maintenant, c’est que l’engagement sans faille, sans retour et sans repentir est contemporain de son entrée en politique après la guerre de 1940-1945.
La participation de François Mitterrand à la première réunion du Congrès de l’Europe à La Haye en 1948, tenu sous la présidence de Winston Churchill est connue. Le Président s’y référait lui-même souvent.
Le 7 mai 1988 au Congrès de La Haye, il a évoqué ainsi 1948, préambule où sont définis l’orientation et les ressorts de la future Construction européenne.
« J’étais moi-même jeune homme politique français et je regardais avec curiosité, parfois admiration, celles et ceux qui s’exprimaient en ce temps-là, au sortir d’une deuxième guerre mondiale qui laissait assurément sa trace de deuils et de chagrins, ses blessures qui avaient abandonné l’Europe pantelante, divisée, déchirée. Quelques hommes avaient déjà imaginé qu’à partir de là il fallait reconstruire un monde. Ils avaient à mes yeux, on peut le supposer, l’immense prestige des créateurs, des fondateurs, des inventeurs. Je ne me mêlais point de leurs débats, on tentait de les écouter et de les suivre avec esprit critique, comme on doit l’avoir.
Mais, emportés par le brassage des idées, des projets, faut-il faire l’Europe, qu’elle sera-t-elle ? Son contenu et son destin ? Faut-il se contenter d’une sorte de réconciliation, des ennemis de la veille, donner à cette réconciliation, un aspect sacramental, officialiser de vagues institutions, ou bien faut-il décidément s’orienter vers une Europe organique, structurée, unie, qui un jour, c’était il y a quarante ans, un jour pensait-on, pourrait restituer à chacun des pays qui la composeront, leur présence sur la scène du monde ?
Chacun d’entre eux, chacun d’entre ces pays, si on le comparait aux deux empires qui venaient de l’emporter et de se partager l’influence sur la terre, chacun de nos pays, quelle que soit sa grande histoire ou sa culture, paraissait voué, et pour longtemps, à ne remplir que les rôles subalternes.
Et pourquoi ? Pourquoi notre civilisation, pourquoi notre histoire, pourquoi notre économie, pourquoi nos femmes et nos hommes seraient-ils voués à ne connaître que la dépendance ? Il était évident dès cette époque, qu’il faudrait bien un jour, fonder les institutions au sein desquelles ces femmes et ces hommes d’Europe se retrouveraient un jour. »
Une fois élu Président, François Mitterrand, ne cesse d’œuvrer pour la construction de l’Europe pendant ses deux septennats de la relance d’une Europe bloquée en 1984 à l’adoption de l’Acte unique en 1985-1986 au Traité de Maastricht en 1992.
Je ne me rappelle pas ce long cheminement tracé et suivi avec Helmut Kohl et le soutien actif de plusieurs pays dont la Belgique.
J’ajouterais simplement que lors de la réunification allemande en 1989 le souci de François Mitterrand qui, loin d’avoir craint la chute du Mur, l’avait annoncé à plusieurs reprises et ne s’y est jamais opposé contrairement à ce qu’on soutenu quelques prédicateurs du passé mal informés ou mal intentionnés, il fut attentif non seulement à l’avenir de l’Union mais à sa place et son avenir dans l’ensemble de l’espace européen que les Institutions européennes alors en place étaient loin de recouvrir.
D’où le traité de Maastricht destiné à arrimer l’Europe sur elle-même à l’écart des soubresauts possibles de l’Europe de l’Est en pleine interrogation et devenir après la chute de l’Empire soviétique.
De même lorsque furent discutés tout au long de l’année 1983 les questions liées à la crise des euromissiles qui là, ne concernaient plus l’Union européenne, mais la place et le rôle de la France, puissance nucléaire, au sein de l’Europe, François Mitterrand pris soin d’expliquer longuement lors de son voyage d’octobre 1983 quelle était sa position tant à Bruxelles qu’ici à Liège. Il y avait à l’époque une forte inquiétude et même crainte du fait d’une possible ingérence de la France à l’égard de ses voisins du fait de ses responsabilités nucléaires.
Je ne vais pas entrer dans le détail, ce serait bien trop long et largement dépassé, mais simplement rappeler en deux phrases sa politique sur l’armement français en Europe : « l’équilibre des armements, l’équilibre de l’armement ici et là, à l’Est et à l’Ouest, en recherchant cet équilibre au plus bas niveau possible », ajoutant : « je suis de ceux qui veulent réduire leur nombre, la situation idéale était qu’il n’y en eut pas du tout » et « dernier point : la France n’avait rien à faire dans les négociations directes entre les Russes et les Américains qui n’avaient aucun titre à prendre en compte ou discuter l’armement nucléaire français alors que la France n’était pas conviée à ces rencontres ».
Revenant à la construction européenne, je terminerai sur deux citations des discours prononcés par François Mitterrand. Toutes deux sont encore d’une indéniable réalité lorsqu’il s’agit des difficultés de l’Europe et des moyens de les surmonter et de les résoudre.
– extrait du discours prononcé à l’occasion du dîner d’Etat offert par leurs majestés le Roi et la Reine des Belges au Palais Royal le 12 octobre 1983 :
« Aucune Europe, voyez-vous, ne naîtra hors de l’esprit, hors de la volonté politique, dans le vrai et bon sens du terme, dans la conception que l’on a de ce que nous sommes tous ensemble, dans l’orgueil de ce que nous pouvons et dans la patience de ce que nous faisons. C’est sans doute ce qui manque le plus aujourd’hui : repliés sur nous-mêmes, nous sommes contraints par la crise mondiale à rechercher dans nos seules forces, à l’intérieur de chacun de nos pays, la réponse à la question posée. »
– extrait du discours prononcé au Congrès de La Haye le 9 septembre 1988 (en référence à la période 1984-1988 de création du grand marché unique).
« Les difficultés d’être une Europe encore incertaine peuvent apparaître aux ouvriers du moment comme pratiquement insurmontables. Et bien, ils ne le sont pas. Chaque fois, quelques hommes ou femmes se dressent, montrent le chemin. » (…)
« Il existe pour l’Europe une vocation profonde que j’appelais obscure, que l’œil ne parvient pas, le regard ne parvient pas à discerner et qui doit, j’imagine, être comme l’expression d’un mouvement des siècles, ou bien on y contribuera, ou bien on le brisera, il n’y aura pas d’Europe, et nous non plus, ne serons rien. »
Le 21 mai un aboutissement et un commencement
Lorsqu’il est élu en mai 1981 et prend ses fonctions à l’Elysée le 21 mai, François Mitterrand arrive au terme d’un parcours politique entamé en 1946, 35 ans plus tôt, au cours desquels il a exercé des fonctions ministérielles à plusieurs reprises sous la Quatrième République sur une période de 12 ans et été constamment réélu Député de la Nièvre.
Ce fut naturellement un long chemin marqué par les alternances de moments forts et de périodes difficiles, par les changements d’orientations politiques observées au fil du temps, pour lesquels il fut copieusement critiqué, voire moqué.
Chacun en connaît les étapes les plus marquantes : le refus et le rejet de la Constitution de 1958, la candidature à l’élection présidentielle de décembre 1965 et la mise en ballotage du Général de Gaulle, contraint à un deuxième tour, la percée dans la foulée de la Fédération de la gauche socialiste et démocratique aux élections législatives de 1967, la plongée dans un certain oubli après les « évènements » et la dissolution de 1968, puis l’Union retrouvée du Parti Socialiste au Congrès d’Epinay en 1971 suivi par les succès électoraux aux élections locales intermédiaires et les victoires manquées de peu aux élections présidentielles de 1974, législatives de 1978, avant la double victoire présidentielle du 10 mai 1981 et celle des élections législatives suivantes en juin, où le Parti Socialiste obtient à lui seul la majorité absolue.
Après 23 ans, la Gauche écartée du pouvoir y revenait par la grande porte grâce à François Mitterrand.
Voici un large extrait de l’adresse prononcée par François Mitterrand à l’Elysée lors de sa prise de fonctions :
« En ce jour où je prends possession de la plus haute charge, je pense à ces millions et ces millions de femmes et d’hommes, ferment de notre peuple qui, deux siècles durant, dans la paix et la guerre, par le travail et par le sang, ont façonné l’Histoire de France, sans y avoir accès autrement que par de brèves et glorieuses fractures de notre société.
C’est en leur nom d’abord que je parle, fidèle à l’enseignement de Jaurès, alors que, troisième étape d’un long cheminement, après le Front populaire et la Libération, la majorité politique des Français démocratiquement exprimée vient de s’identifier à sa majorité sociale.
Il est dans la nature d’une grande nation de concevoir de grands desseins. Dans le monde d’aujourd’hui, quelle plus haute exigence pour notre pays que de réaliser la nouvelle alliance du socialisme et de la liberté, quelle plus belle ambition que de l’offrir au monde de demain ?
C’est, en tout cas, l’idée que je m’en fais et la volonté qui me porte, assuré qu’il ne peut y avoir d’ordre et de sécurité là où régnerait l’injustice, gouvernerait l’intolérance. C’est convaincre qui m’importe et non vaincre.
Il n’y a eu qu’un vainqueur le 10 mai 1981, c’est l’espoir. Puisse-t-il devenir la chose de France la mieux partagée ! Pour cela j’avancerai sans jamais me lasser sur le chemin du pluralisme, confrontation des différences dans le respect d’autrui. Président de tous les Français, je veux les rassembler pour les grandes causes qui nous attendent et créer en toutes circonstances les conditions d’une véritable communauté nationale. »
Appuyé sur une large majorité (le PS ayant obtenu à lui seul la majorité des sièges et près de 5 fois plus de députés que ceux du Parti Communiste) François Mitterrand allait devoir exercer et préserver ce pouvoir après 23 ans d’opposition.
Inutile de dire que, du moins les deux premières années, la tâche fût rude car une large fraction de l’appareil d’Etat, surtout dans la haute fonction publique, lui était hostile et, pour certains, refusaient de le servir, ou faisaient le minimum, persuadés que la présence de la gauche au pouvoir ne durerait pas plus d’un an ou six mois.
C’était mal connaître François Mitterrand, sa force de caractère, son autorité naturelle, sa volonté implacable de donner à la gauche la possibilité de gouverner. Mais aussi de montrer qu’elle en avait la pleine capacité et n’avait donc pas de complexe vis-à-vis de la droite qui revendiquait sans vergogne l’exclusivité du savoir et de la compétence même dans les domaines où elle n’avait rien accompli ou rien démontré.
Le caractère de François Mitterrand. Il s’est trempé et nourri très tôt de l’intérêt qu’il a montré pour la vie politique, de ses connaissances acquises par la familiarité qu’il avait acquise de l’histoire et de la géographie, de la fréquentation précoce après son arrivée à Paris pour y poursuivre ses études en 1934.
A titre d’illustration et d’exemple, je voudrais vous lire quelques extraits d’un texte que François Mitterrand a écrit quelques jours après l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne.
François Mitterrand le qualifiait lui-même en 1991, comme étant son premier texte politique, « son entrée dans l’écriture, sa première affirmation ».
« Le renoncement volontaire, cette offrande de la joue droite après le coup sur la joue gauche, est inconnu des peuples et risque fort de le demeurer longtemps. Cependant, comme les hommes se targuent de principes, même s’ils n’y croient pas, ils ont remplacé le renoncement par la modération, l’absolu par le juste milieu. Le juste milieu ! Comme si l’on pouvait tracer une ligne de partage entre le bon et le mauvais, le juste et le faux, et danser sur cette corde raide ! Le juste milieu devint le leitmotiv des peuples faibles. L’équilibre, le droit acquis, la nature des choses proposent de confortables abris. Pourquoi ne pas y sommeiller ? Oublieux de cet axiome que le juste doit être plus fort que le fort s’il veut s’occuper des affaires du monde, les pays vainqueurs de la Grande Guerre se sont contentés du succès de leurs armes ; puis ils se sont endormis derrière la forteresse de carton dressée par les traités. Et, chaque fois que le vaincu d’hier abattait, écrasait ou brûlait une tour, excipant les nécessités vitales et ses bonnes intentions du dedans, on lui criait : « Jusqu’ici, oui, mais pas plus loin ! » ».
Lorsqu’il écrivit ce texte, il n’avait pas 22 ans ; c’était il y a 78 ans.
Gilles Ménage