Extraits […] Le mercredi suivant il restait à élire le premier secrétaire du parti. Alain Savary et Guy Mollet battus, j’étais normalement seul candidat. Je savourais ma victoire lorsque Augustin Laurent m’appela au téléphone.
– Pierre, qu’est-ce que j’apprends? Tu seras le premier secrétaire? Ce n’est pas compatible avec ton engagement d’être premier adjoint à Lille, puis maire!
Il est vrai que, six mois auparavant, j’avais bel et bien accepté de me consacrer à ma tâche lilloise. Mais évidemment, les choses avaient évolué. Je pensais qu’il se laisserait fléchir, et je pris rendez-vous à Lille dans l’après-midi. Malgré l’intervention de son ami Debesson, secrétaire administratif de la fédération, dont j’avais sollicité l’appui, il ne voulut rien entendre. J’étais dans le plus grand embarras, écartelé entre un double engagement: celui pris vis-à-vis de François Mitterrand et celui pris auprès d’Augustin Laurent. Il est 5 heures de l’après-midi lorsque je quitte Lille. Au volant de ma voiture, j’ai le temps de réfléchir. Arrivé à Cambrai, mon choix est fait.
Je me rends dans un café sur la grand-place et je téléphone à François Mitterrand:
– Augustin Laurent ne veut pas!
– Cela n’a pas d’importance. Ce sont nos accords, il faut les respecter. De plus, je ne veux pas être premier secrétaire.
Encore plus embarrassé, je téléphone à Gaston Defferre pour lui demander conseil. Mon embarras ne fait que croître.
– Ce n’est pas possible, Pierre, me dit Gaston. Tu sais, dans les Bouches-du-Rhône, ils sont SFIO et Epinay c’est aussi leur victoire. Tu dois être premier secrétaire.
Je réfléchis rapidement, conscient qu’il faut réagir aussitôt: de ce café, je téléphone à l’AFP un communiqué de trois lignes: “le premier des socialistes dans le pays doit prendre la responsabilité d’être le premier dans le parti.” J’appelle de nouveau François Mitterrand pour l’en informer. Sa réaction est immédiate:
– Ah! dans quelle situation vous me mettez!
Le mercredi 16 juin, François Mitterrand est élu premier secrétaire, au grand plaisir de Jean-Pierre Chevènement. Il me dit alors:
– Pierre, je suis toujours dans la même disposition d’esprit. Je vais être le leader du parti, mais l’animation et l’administration, ce sera vous.
Le comité directeur est donc appelé à désigner un secrétaire à la coordination, celui que l’on appelle le numéro 2 du parti. Seul le Ceres votera contre moi, signifiant déjà son ambition. Le parti socialiste s’engage alors dans la décennie qui va le mener au pouvoir.